dimanche 19 mai 2013
Ruine du 7ème
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Le vidéo de notre quartier ferme bientôt. Nous venons de l'apprendre en allant chercher quelques films. Drame. Drame comme le meilleur des drames qu'il louait. Mais les acteurs de la scène sont réels ceux là. Acteurs économiques, humains, du tissus social du quartier. Un petit commerce qui ferme, c'est déjà une petite mort pour un quartier. Un loueur de vidéos, un disparu de plus sur la scène montréalaise, c'est en plus une certaine forme du septième art qui s'étiole. Face à lui, une compétition féroce, de plus en plus virtuelle. Les films se louent aujourd'hui à travers le câble, à travers internet. On fait cela depuis chez soi, sans parler à un quelconque humain derrière un comptoir, sans se déplacer, sans y penser, en pitonnant. Nous, nous aimions bien aller à notre vidéo sur la rue Ontario. En vélo, à pied, pas souvent l'hiver, surtout au printemps ou pendant l'été, un peu l'automne. Du coup, nous avons quelques scrupules. Nous regrettons quand même de ne pas y avoir été davantage. Ce qui nous rend triste aussi, c'est que c'est dans ces petits commerces que l'on pouvait trouver des trésors de films. Comme les librairies avec les livres, les loueurs de vidéos qui font bien leur métier, ce sont des passionnés, dotés d'un véritable fonds. Un vrai répertoire, des nouveautés, des films cultes, des classiques, des introuvables. Vous vous baladez dans les rayons, vous contemplez les jaquettes, les affiches de films. Vous débusquez avec émotions le film de votre soirée. Des milliers de films qu'aucun loueur virtuel ne proposera jamais. de toutes les époques. Les amoureux du cinéma, les vrais, savent le trésor que cela représente. Et puis, il y a les gens qui tenaient le commerce. Professionnels passionnés. Des résistants. Qui tombent un à un. C'est le troisième que je vois sombrer, proche de l'endroit où je vis. Le troisième en 5 ans environ. Le secteur change. On peut certainement compter les loueurs de vidéos indépendants survivants de l'Île sur les doigts des deux mains. Ils nous disent au revoir progressivement. Je les salue avec respect. Depuis que je leur loue des films, depuis mes 20 ans, ils m'ont fait découvrir tellement de chefs-d'œuvres, de navets aussi. De la diversité toujours. Ce sont des jardiniers qui cultivent et rendent accessibles le cinéma, sa mémoire. Leur disparition, comme une serre brisée, est un peu une certaine ruine du 7ème art...